Le livre :
Avec Carbone 14, Légende et histoire d’une radio pas comme les autres, Thierry Lefebvre, maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Diderot, tente d’établir une histoire officielle de cette mythique « radio active », la plus emblématique du mouvement des radios libres. Une entreprise difficile tant les faits sont souvent masqués par la légende de cette station aux canulars et happenings très élaborés.
Carbone 14 profite, comme de très nombreuses autres radios libres, de l’arrivée de la gauche au pouvoir en mai 1981 et des règles encore floues régissant la radiodiffusion pour s’installer sur la bande FM. Portée par un soutien politique plus ou moins assumé (Yves Lancien, député RPR), un publicitaire corse turbulent (Dominique « Gérard » Fenu) et un financement pas encore clairement établi trente ans après, Carbone 14 recrute ses premiers animateurs par le biais d’une petite annonce parue dans Libération le 11 septembre 1981.
Elle commence à émettre le 14 décembre 1981 sur la fréquence 97.2 depuis le 14ème arrondissement parisien.
Radio libre
Jean-François Gallotte, alias David Grossexe à l’antenne (pseudo inspiré par le chanteur pop britannique David Essex), a réalisé Carbone 14, le film en 1983(sorti en DVD en novembre 2011). La liberté de ton de la radio s’explique selon lui par le statut des animateurs, tous bénévoles, qui n’avaient donc rien à perdre.
Cette insouciance (certains diraient inconscience) se retrouve dans les impostures de la station devenues une marque de fabrique. Les auditeurs de Carbone 14 ont ainsi pu vivre l’intrusion d’une personne armée dans les studios, les ébats d’un couple faisant l’amour en direct, les déambulations d’un violeur dans le quartier d’Alésia, ou encore l’annonce de la fausse mort de Mick Jagger… Ses animateurs ont même fait avouer à Jean-Edern Hallier (dans un montage détournant son interview) qu’il avait trouvé refuge dans les locaux de Carbone 14 lors de son supposé enlèvement en 1982. La radio n’hésitait pas à communiquer sur ces « événements médiatiques » complètement mis en scène pour réunir une audience de plus en plus importante.
Mais l’audace n’aurait pas suffi sans le talent de ces jeunes animateurs s’étant révélés, parfois à eux-mêmes, devant les micros du 97.2 FM. Tous cachés derrière des pseudos, souvent improbables, Michel Fibzin (alias Robert Lehaineux allusion à Robert Lamoureux) y côtoie ainsi Jean-Yves Lambert, plus connu sous le nom de Jean-Yves Lafesse, et Catherine Pelletier dont le pseudo radiophonique devient rapidement Supernana. Lafesse continuera son parcours sur Nova puis à Canal + et deviendra le maître incontesté des impostures. Supernana fera quant à elle le bonheur d’une nouvelle génération d’auditeurs sur Fun Radio et Skyrock dans les années 90. Plus étonnant, on croise également dans les couloirs de la radio, Philippe Baranès alias Phil Barney, l’interprète du futur tube larmoyant Un enfant de toi, qui était à l’époque un jeune DJ passionné de black music.
L’aventure se termine le 17 août 1983 pour Carbone 14, première radio libre dont le matériel est saisi pour des raisons d’interférences avec la fréquence de France Musique, sa voisine sur la bande FM. En réalité la station paie la liberté de ton totale de ses programmes les plus provocateurs. La radio ne s’en relèvera pas malgré plusieurs tentatives de résurrections jusqu’à la fin des années 80. Au-delà de l’intérêt pour les passionnés des médias qui vont découvrir les coulisses de cette radio libre mythique, ce livre rappelle cette folie libertaire, bien éloignée de l’atmosphère guindée actuelle.
Carbone 14, la radio qui vous encule par les oreilles.
Playlist :
Cette mini-playlist reprend les références musicales citées dans le livre, complétées par des jingles d’origine de la radio. De nombreux jingles et extraits d’émissions de Carbone 14 sont disponibles sur le site radio.carbone.14.free.fr.
- Générique de l’émission Salut les salauds dans lequel on entend Philippe Barney.
- Michel Jonasz – Super Nana (Super Nana, 1974). Le pseudo Supernana de Catherine Pelletier serait inspiré de cette chanson.
- Générique de l’émission Poubelle Night de Supernana.
- Tom Tom Club – L’elephant (Tom Tom Club, 1981). Ce titre, issu du premier album éponyme du groupe pop américain, est utilisé dans le générique de Poubelle Night.
- Nina Hagen – African Reggae (Unbehagen, 1979). Ce titre, présent sur le second et dernier album du Nina Hagen Band avant que celle-ci continue sa carrière en solo, est présent dans le film Carbone 14, le film.
- Joseph Bodin de Boismortier (1689 – 1755) – Concerto pour cinq flûtes. Il y avait aussi de la musique classique sur Carbone 14, ainsi Luc Pérus, ancien professeur de flûte traversière à la Schola Cantorum de Paris, se souvient avoir joué en direct ce concerto à l’antenne pendant son émission Classicomania.
- Alain Bashung – Beaujolais novo. Ce titre, extrait de la bande originale du film Nestor Burma, détective de choc (1982), évoque dans ses paroles le globo, une marque de chewing-gum. Philippe Debrenne utilisera ce terme pour créer le personnage de Madame Globo, une vieille dame de plus de 70 ans. Ce titre n’ayant pas été retrouvé sur Internet il ne figure pas dans la playlist.
- Générique de l’émission Lafesse merci de Jean-Yves Lafesse.
- Human League – Don’t You Want Me (Dare, 1981). Sorti sur le troisième album du groupe britannique (leur plus gros succès), ce titre est utilisé dans le générique de l’émission Lafesse merci.
- Morton Gould (1913 – 1996) – Protest, extrait du concerto Spirituals for Strings Choir and Orchestra (
1959). Cette partie du concerto de Morton Gould, pianiste et compositeur américain, est connue en France pour avoir été le générique de l’émission Les dossiers de l’écran. Philippe Debrenne voulant ce morceau pour le générique de sa propre émission sur Carbone 14 demande à un ami travaillant à Radio France d’« emprunter » le vinyle de la discothèque de la radio publique pour l’enregistrer.
Carbone 14, Légende et histoire d’une radio pas comme les autres est paru en janvier 2012 chez Ina Éditions, dans la collection « Médias histoire ».
Thierry Lefebvre est également l’auteur du livre La bataille des radios libres : 1977-1981, vous pouvez écouter une émission radio consacrée à cet ouvrage sur le site d’archives de Radio Campus Paris.
Marco
Rédacteur
Chroniqueur pour Shut Up and Play The Books ! et Citazine (cinéma), je peux également faire des sites Internet sur Wordpress et du community management. Intérêts : Orson Welles, médias, cinéma, #moviequotes, loutres et plus si affinités.
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