Le livre :

E. L. James - Cinquante nuances de GreyCinquante nuances de Grey de l’anglaise Erika Leonard James, alias E.L. James, est un indéniable succès commercial. Vendu à plus de 40 millions d’exemplaires en 18 mois, le livre est également le premier e-book à dépasser le million de téléchargement. Un succès qui propulse E. L. James à la tête du classement des auteurs les mieux payés au monde en 2013 avec 95 millions de dollars de revenus.

Le livre est basé sur la relation entre Anastasia Steele, une candide diplômée de littérature âgée de 21 ans, et Christian Grey, un bel homme d’affaire milliardaire de 27 ans. Anastasia rencontre le jeune PDG lors d’une interview qu’elle effectue pour le journal de l’université à la place de sa colocataire malade. La jeune femme tombe sous le charme de cet homme aussi séduisant que mystérieux, une attirance réciproque qui pousse Christian Grey à traquer Anastasia et lui proposer de se revoir. Pas de chance pour la jeune ingénue, l’homme d’affaire ne prend du plaisir que lors de jeux de soumission.
L’innocente Anastasia peut-elle accepter par amour l’univers BDSM (Bondage, Discipline, Domination, Soumission, Sadomasochisme) du riche entrepreneur ? Elle espère secrètement qu’en se laissant maltraiter selon ses règles elle arrivera à le faire changer et lui faire accepter une relation plus « apaisée ».

Avis :

Ce que je savais avant de lire Cinquante nuances de Grey : le livre est un succès mondial qui traine une réputation de roman érotique (certains disent pornographique) mal écrit destiné aux femmes d’un certain âge. Mon statut de mâle trentenaire célibataire me tenait donc éloigné de ce livre qualifié de « mom porn » (« porno pour mamans » ou « porno pour ménagères »). Mais alors pourquoi me suis-je infligé la lecture de ce livre ?
L’élément déclencheur a été la réflexion d’une jeune femme que je « fréquentais ». Alors que je lui faisais remarquer, d’un ton ironique, la présence du livre dans sa bibliothèque sa réponse, « Tu devrais le lire, tu pourrais apprendre des choses », a suscité en moi une curiosité que je me devais d’assouvir.

– Jouis pour moi, bébé.
Sa voix est dure, rauque, et j’explose autour de lui tandis qu’il me défonce à coups de rein de plus en plus rapides.
– Putain… merci, chuchote-t-il avec un dernier coup de rein brutal.

Premier choc, la façon dont le livre est écrit. J’étais prévenu, mais quand même. Comment décrire cette prose ? Prenez un exemplaire des collections Harlequin, ajoutez-y quelques mots crus et une salle remplie d’ustensiles sado maso, voilà vous y êtes. Le livre compte quelques situations certes excitantes mais celles-ci n’ont pas déclenché plus qu’un début d’érection, vite calmée par la lourdeur du style et les échanges d’Anastasia et Christian pendant l’acte. J’ai parfois eu envie de crier à Mr Grey : « Vas-y, baise là mais ferme ta gueule Christian, putain ferme ta gueule ! ».

Sado et maso sont dans un bateau

La seconde faiblesse rédhibitoire du livre sont les personnages qui, malgré les efforts désespérés de l’auteure, n’ont aucune épaisseur psychologique.
Qui est Anastasia Steele ? Une jeune femme de 21 ans qui n’a jamais eu de relations sexuelles ni sentimentales ; quand elle rencontre Christian Grey elle n’a encore jamais embrassé de garçon. A-t-elle des principes religieux ? Est-elle très moche ? Non rien de tout ça, Anastasia est décrite comme une jolie brune aux yeux bleus par sa colocataire Katherine et elle a d’ailleurs des prétendants. Elle n’a juste pas trouvé la bonne personne…
Cette innocence d’Anastasia, l’expérience d’une adolescente dans le corps d’une jeune femme de 21 ans, rend le personnage très peu crédible.

Et Christian Grey alors ? Il est décrit comme mystérieux, torturé… bref il a « cinquante nuances », enfin ça c’est que promet le titre. Avec des ressorts psychologiques dévoilés au fur et à mesure (enfant battu et adopté, initié au sadomasochisme à 15 ans…), E. L. James tente, en vain, de donner de l’envergure à son personnage qui n’a pas cinquante nuances mais deux. Le milliardaire est un interrupteur, il connaît deux humeurs : le bon camarade enjoué et l’homme au masque impassible proférant des menaces de châtiments.
Que sait-on de Christian Grey quand Anastasia tombe follement amoureuse de lui ? Il est beau (c’est répété à chaque rencontre), grand, riche (vol privé en hélicoptère, cadeaux hors de prix…), il joue de la musique (oh le cliché du musicien, ça alors !) et Anastasia nous fait comprendre qu’il est en plus bien membré (même si on peut douter qu’elle sache vraiment de quoi elle parle). Une jeune pucelle de 21 ans superficielle et vénale subjuguée par la beauté, la richesse et les performances sexuelles d’un homme, voilà ce qui est censé faire rêver le lecteur (ou plutôt les lectrices).

La vision des pratiques sado-masochistes par E. L. James peut également laisser perplexe. Pourquoi imposer au pauvre Christian Grey un passé si sombre ? Faut-il avoir été maltraité ou avoir vécu une enfance douloureuse pour être un adepte du SM ? Pire, le riche PDG ne cesse de s’agacer du comportement de la douce Anastasia, il la menace de châtiments quand elle se rebelle ou se mord la lèvre par exemple (oui, il lui en faut peu pour s’énerver). Mais comme il ne peut pas la frapper dans le cadre « normal » des relations humaines il lui promet qu’il se défoulera une fois dans la « chambre rouge de la douleur ». La frontière ne serait donc pas si étanche entre la vie quotidienne et les échanges sado-maso, en tout cas dans la tête de Christian Grey. S’il serait exagéré de parler de violences conjugales différées, il n’en reste pas moins que cette ambiguïté n’est pas très saine.

Tout est-il si mauvais dans Cinquante nuances de Grey ? Non, quelques îlots émergent, comme les échanges de mails entre Anastasia et Grey à l’humour plutôt agréable. Mais ces moments sont trop rares pour sauver le roman du naufrage. On devine au titre des deux romans suivants de la trilogie, Cinquante nuances plus sombres (Fifty Shades Darker) et Cinquante nuances plus claires (Fifty Shades Freed), que les choses vont devenir plus difficiles pour la pauvre Anastasia mais elle matera finalement le beau Christian Grey. Comme dans une romance (trop) banale, malgré les coups de cravache.

Dans le livre Anastasia se retrouve dans la chambre rouge attachée, les yeux bandés et avec des écouteurs diffusant de la musique dans ses oreilles, évidemment Grey en profite pour lui faire ce qu’il veut. Une scène qui a tant émoustillé la jeune femme m’ayant conseillé de lire le roman qu’elle souhaitait la reproduire à l’identique.
Voici donc la raison de ce conseil littéraire, sauf que je n’ai pas attendu E. L. James pour jouer avec des menottes ou des foulards. J’aurais donc pu éviter cette lecture pénible.

Excité par le succès du livre, Universal Pictures a acheté les droits du livre pour 5 millions de dollars. Jamie Dornan tiendra le rôle de Christian Grey et Dakota Johnson incarnera Anastasia Steele dans cette adaptation cinématographique.
Un livre médiocre peut-il faire un bon film ? Réponse en février 2015, le jour de la Saint-Valentin. Premier indice avec la bande annonce officielle…

Musique :

Pour ajouter de la classe à un roman qui en manque terriblement, E. L. James a eu la bonne idée d’y injecter une bonne dose de musique classique. Si on peut se réjouir que ce livre puisse permettre à certains d’élargir leurs connaissances des grands compositeurs, il est déprimant de voir un peu partout ces œuvres étiquetées « morceau du livre 50 nuances de Grey ». Cette mise en avant rappelle le « Vu à la télé », formule censée crédibiliser n’importe quel produit. Un livre de seconde zone pour « vendre » la grandeur de Bach, Verdi et Chopin ? Triste époque.
– Tu sais le morceau là… mais si… comme dans la pub à la télé pour les tampons !
– Euh… oui c’est du Mozart et là il doit se retourner dans sa tombe.

Dans le livre certains titres ne sont pas clairement cités mais E. L. James ayant publié la liste officielle des morceaux sur son site, la playlist ci-dessous reprend ces titres avec, quand cela a été possible, les interprètes et versions choisis par l’auteure. Une « bande originale du livre » a été éditée, elle reprend tous les titres de musique classique figurant dans les trois tomes.

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Playlist :
Les références musicales sont classées selon l’ordre d’apparition dans le livre.

  • Léo Delibes (1836-1891) – Duo des fleurs tiré de l’opéra Lakmé. La version retenue par l’auteure dans la playlist est celle interprétée par Alain Lombard, Mady Mesple, Danielle Millet & Orchestre du Théâtre National de l’Opéra-Comique.
  • Le compositeur anglais Thomas Tallis (1505-1585) est évoqué, une de ses œuvres est jouée vers la fin du roman.
  • Kings of Leon – Sex on fire (Only By the Night, 2008).
  • Johann Sebastian Bach (1685-1750) – Concerto pour hautbois, Adagio from Concerto No 3 in D Minor, BWV 974. Christian Grey joue au piano ce morceau dans une transcription d’Alessandro Marcello (1673-1747). Le morceau sera joué une nouvelle fois vers la fin du roman. E. L. James a choisi dans sa playlist une version interprétée par James Rhodes sur l’album Now Would All Freudians Please Stand Aside (2010).
  • Amy Studt – Misfit (False Smiles, 2003). Cette « chanson sur les inadaptés » qui plait particulièrement à Anastasia est sortie sur le premier album de la chanteuse britannique.
  • Bruce Springsteen – I’m on fire (Born In the U.S.A., 1984).
  • Snow Patrol – The Lightning Strike (A Hundred Million Suns, 2008)
  • Heitor Villa-Lobos (1887-1959) – Aria (Cantilena) tiré du « Bachianas Brasilerias No. 5 » for voice and 8 cellos. L’auteure a choisi pour sa playlist la version interprétée par Ana María Martínez, le Prague Philharmonia et Steven Mercurio telle qu’elle figure sur l’album de Ana María Martínez, Soprano Songs and Arias sorti en 2005.
  • Frank Sinatra – Witchcraft (Classic Sinatra – His Great Performances 1953-1960, 2000)
  • La bande originale du film La leçon de piano, réalisé en 1993 par Jane Campion, est évoquée.
  • Giuseppe Verdi (1813-1901) – La Traviata – « Prelude »
  • Britney Spears – Toxic (In the Zone, 2003)
  • Damien Rice – The Blower’s Daughter (O, 2002)
  • Johann Pachelbel (1653-1706) – Canon and Gigue in D Major : I. « Canon ». La version choisie par E. L. James est celle interprétée par English Concert et Trevor Pinnock  sur l’album Pachelbel: « Canon & Gigue » sorti en 1985.
  • Thomas Tallis – Spem in Alium, motet à quarante voix. Version interprétée par Peter Phillips and The Tallis Scholars sur l’album The Tallis Scholars sing Thomas Tallis (2004)
  • Frédéric Chopin (1810-1849) – 24 Préludes opus 28, No. 4 en mi mineur : « Largo ». Version interprétée par Alexandre Tharaud sur l’album Chopin: « Préludes, Op. 28 » (2008)

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Cinquante nuances de Grey est paru en France en octobre 2012 chez J.C Lattès et en février 2014 en Livre de poche.

Marco

Marco

Rédacteur

Chroniqueur pour Shut Up and Play The Books ! et Citazine (cinéma), je peux également faire des sites Internet sur Wordpress et du community management. Intérêts : Orson Welles, médias, cinéma, #moviequotes, loutres et plus si affinités.
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