Le livre:
« Je te haïssais. Avec tes cheveux verts, sales, tu représentais tout ce que j’exécrais alors : le désordre, le mauvais goût, l’improductive et vaine révolte juvénile. » Voilà comment débute L’abandon du mâle en milieu hostile. On est à la fin des années 70. Le narrateur, fils unique d’une famille bourgeoise et conservatrice dijonnaise parle ainsi de celle qu’il voit un jour débarquer dans sa classe de terminale : une jeune et belle punk, anarchiste, solitaire, sûre d’elle et… excellente élève. Il est conformiste, elle est extravagante. Elle l’agace puis le fascine, il tombe amoureux malgré lui. Sans vraiment comprendre ses engagements et son univers il la suit partout. Si elle accepte sa présence elle semble rester inaccessible.
Après le lycée, la fac. Début des 80’s. Leur relation change. Elle lui propose d’emménager avec elle. Amis, puis amants, leur relation amoureuse évolue jusqu’au mariage.
Mais la jeune femme, désormais écrivain reconnue reste mystérieuse, secrète… Elle partage sa semaine entre Dijon (avec son mari) et Paris (pour son travail). Il ne sait pas trop ce qu’elle y fait réellement. Il se pose des questions mais ne les verbalise pas. Il l’aime, ne veut pas la perdre et sait que pour cela il doit lui laisser sa liberté. Cependant quand la phrase « Il va bien falloir que j’en parle » commence à scander le récit, on sent, on sait qu’il va se passer quelque chose. A mi-roman tout bascule. Le narrateur découvre le vrai visage de sa femme. Je n’en dévoilerai pas plus…
Avis :
C’est une amie qui m’a prêté ce livre en me disant qu’il y avait matière à chronique sur Shut Up and Play The Books !
Le pitch qu’elle m’en a fait m’a donné envie de me plonger dans cette lecture, mais ni le titre L’abandon du mâle en milieu hostile, ni la 4ème de couv’ ne m’auraient permis d’imaginer ça… Le bouquin achevé il m’a fallu quelques secondes pour m’en remettre et lâcher un « wahou !»
L’abandon du mâle en milieu hostile est un roman bouleversant et extrêmement bien écrit. L’auteur utilise un vocabulaire riche (j’ai même dû dépoussiérer mon dictionnaire) qui ne gêne en rien la lecture, au contraire, c’est agréablement surprenant ! Mais passons sur ce point… On est pris par l’histoire. D’un début léger et plein d’humour on bascule dans quelque chose de plus pesant, tragique. Le tout est parfaitement mené.
On est face à une magnifique déclaration d’amour de cet homme à cette femme, un amour fou et aveugle (aveuglement volontaire ou non, on peut se poser la question). Si le narrateur a tenté de lutter un temps contre ses émotions, il succombe sans comprendre pourquoi ou comment. Surviennent ensuite les doutes, les questionnements, le manque, la douleur… qui nous arrachent quelques larmes.
Tout le récit est basé sur la seule vision du narrateur. Les questions qu’il se pose resteront ainsi pour lui comme pour nous sans réponse, même si chacun peut se faire sa propre idée.
Enfin, derrière cette histoire d’amour on trouve un tableau assez juste des années 80 qui se forme par petites touches (les idéaux politiques et sociétaux : l’arrivée de la gauche au pouvoir, le basculement vers la société de l’image, de la frime et des paillettes, de l’individualisme. Les 80’s, une décennie où des gens mènent encore des combats sous forme de luttes armées…)
L’abandon du mâle en milieu hostile est pour moi un énorme coup de cœur.
Musique:
Également en arrière plan dans ce roman, la musique.
Le narrateur (qui écoute Michel Sardou et de la musique classique) tombe amoureux d’une punkette anarchiste. Pour être à ses côtés il l’accompagne à de nombreux concerts, rencontre ses amis musiciens…
On apprend également au cours de la lecture qu’elle aurait aimé jouer dans un groupe de rock et qu’elle a écrit une thèse « Femmes, alcool et mort dans l’imaginaire du rock, 1957-1977 »
Comme indiqué précédemment on est dans les années 70-80.
La musique correspond donc à cette époque et est plus à son image à elle, punk rock !
Playlist disponible sur Deezer et Spotify (certains titres n’étant pas disponibles sur ces plateformes celles-ci ne sont pas exhaustives).
Playlist :
(par ordre d’apparition dans le livre)
- AC/DC – Problem child (album Dirty Deeds Done Dirt Cheap, 1976)
- AC/DC – Big balls (album Dirty Deeds Done Dirt Cheap, 1976)
- Buzzocks – Fast cars (album Another Music in a Different Kitchen, 1978. Il s’agit du premier album officiel du groupe. Le titre n’est pas à proprement cité, mais il est dit dans le roman: « le castrat excité qui chantait ses big balls avait été remplacé sous le saphir par un énervé qui haïssait les voitures rapides ». Ca me semble coller…)
- Le narrateur se rend chez un disquaire pour offrir à la belle punkette un album, il cherche un groupe qu’elle pourrait aimer. Il sait qu’elle aime Crass (groupe anarcho-punk britannique qui s’est formé en 1977), le vendeur lui conseille Slaughter and the dogs (groupe punk de Manchester qui s’est également formé à la fin des 70’s).
- Lui n’avait « rien écouté de plus rock que du Michel Sardou »
- Elle l’invite à venir avec elle à un concert clandestin de Métal Urbain (groupe punk français, formé en 1976)
- Plastic Bertrand – Ca plane pour moi (album AN 1, 1977. Cette chanson nous vient de la Belgique. Plastic Bertrand, de son vrai nom Roger Allen François Jouret en est l’interprète. Chanson produite et composée par Lou Deprijck, les paroles sont quant à elles d’Yvan Lacomblez. Si cela est la version officielle présentée au public lors de la sortie, la réalité des choses est différente. Cette information est connue depuis un moment, mais si vous étiez passés à côté une petite compilation de wikipedia nous explique que c’est Lou Deprijck et non Plastic Bertrand qui chante Ca plane pour moi. Plastic Bertand n’était à l’origine qu’un personnage inventé par Lou (le nom faisant référence à Bert Bertrand, journaliste rock belge qui incarnait le microcosme belge du punk durant la seconde moitié des années 1970), qui face au succès du titre a du faire appel à une personne pour incarner le rôle. Il choisit Roger Allen François Jouret. Celui-ci construira toute sa carrière avec le nom de Plastic Bertrand. Polémique et procès éclatent en 2006 remettant en avant cette histoire lors d’un combat pour le titre « d’interprète légal » de la chanson alors que l’information avait déjà fuitée et avait été confirmée à la fin des années 70.
Autre anecdote: Ca plane pour moi est construite sur une note unique (à l’exception dune courte vocalise dans le refrain) pour parodier certains morceaux punk.
Grand classique du genre et grand succès mondial, la chanson fut reprise par de nombreux groupes par la suite) - The Damned – Jet Boy Jet Girl (single sorti en 1978) (Dans le livre il est écrit : « établir l’antériorité de The Damned sur le titre Jet Boys Jet Girls serait d’ailleurs l’une des grandes luttes de ta vie – toutes proportions gardées bien sûr ». L’histoire, si on fouille un peu sur le net, est en fait compliquée. Jet Boy Jet Girl reprend la musique de Ca plane pour moi de Lou Deprijck, mais Alan Ward aurait écrit les paroles de la version anglaise au moment où Yvan Lacomblez écrivait la version française (pour un résultat complètement différent). Alan était alors l’un des membres du groupe punk belgo-britannique Elton Motello qui sort le single Jet Boy Jet Girl en novembre 1977. En studio, les musiciens qui enregistrent le titre sont les mêmes que ceux qui ont enregistré Ca plane pour moi.
Quant à The Damned (groupe punk rock britannique formé en 1976) l’un de ses fondateurs est le guitariste Brian James, qui venait de quitter le groupe Elton Motello…
The Damned reprendra Jet Boy Jet Girl en 1978) - Des groupes punk rock français comme Asphalt Jungle et Les Chaussettes Noires sont cités en lien avec le concert de Métal Urbain
- Métal Urbain – Crève salope (album Les hommes morts sont dangereux, 1981. Fondé en 1976, Métal Urbain est l’un des tout premiers groupes de punk français)
- Elle organise un concert à la mémoire de Sid Vicious (de son vrai nom John Simon Ritchie, décédé le 2 février 1979 il est une icône du mouvement punk. Chanteur, il fut également second bassiste des Sex Pistols)
- Elle va de Dijon à Orléans pour voir un concert de The Cure.
- Lui écoutait peu de musique en ce temps-là et écoutait de la musique classique quand son père l’autorisait à utiliser la chaîne du salon.
- Il se retrouve en soirées avec elle où il y a des débats entre le rock anglais et américain et les groupes suivants se retrouvent cités : Ramones, Fleshtones, Dictators et Real Kids vs Pistols, Hot Rods, Stranglers et Damned. Et Stooges, MC5, Velvet vs Beatles, Stones.
- Bon Scott d’AC/DC est cité. Elle en défend la mémoire (chanteur du groupe à partir de 1974, il décède le 19 février 1980)
- Lorsqu’ils emménagent ensemble, il décrit une soirée où elle met en musique de fond le groupe Marquis de Sade (groupe de rock rennais (1977-1981)), aucun titre n’est cité.
- Des paroles sont citées qui je pense peuvent être attribuées aux titres de Gogol 1er – J’encule et Anaïs anal (Gogol Premier de son vrai nom Jacques Dezandre, est connu pour ses titres aux textes provocateurs. J’encule apparait sur l’album Vite Avant La Saisie, 1982. Anaïs anal sur l’album Hencor’ Pir, 1983)
- Ils vont voir Stiff Little Fingers (groupe punk irlandais formé en 1977) et Kidnap (groupe punk français formé à Blois en 1978) en concert
- Ils vont au concert d’adieu des Béruriers
- Ludwig van Beethoven – Sonate au clair de lune (La Sonate n°14 en do dièse mineur, opus 27 n°2 dite Sonate au Clair de Lune fut composée en 1801 et publiée en 1802)
- Il cite les paroles de I wanna be your dog, j’ai mis dans la playlist la version des Stooges qui en sont à l’origine (écrite et interprétée par le groupe, la chanson sort sur l’album The Stooges en 1969)
- Il cite les paroles de Couleurs sur Paris d’ Oberkampf (Oberkampf est un groupe punk français qui a été principalement actif de 1978 à 1985. Couleurs sur Paris est présent sur l’album éponyme sorti en 1981)
- Il cite les paroles de Sex Beat de The Gun Club (album Fire Of Love, 1981)
- Il cite les paroles de Rock and Roll de Led Zeppelin (album Untitled, 1971. Si cet album n’a jamais eu de nom les fans et les médias l’ont nommé Led Zeppelin IV. Cette chanson est l’une des plus connues du groupe et a été reprise de nombreuses fois).
- Il cite à trois reprises des paroles de Siamese Twins de The Cure, et il nous dit écouter l’ensemble de l’album des Cure dont est issu ce morceau: Pornography (qu’il écoute ici en vinyle). L’album date de 1982.
- L’album de Virgin Prunes « If I Die, I Die » est cité. Cet album est sorti en 1982. Le considérant important dans l’histoire, j’ai intégré le morceau Bau Dachong dans la playlist pour l’illustrer.
- Georges Brassens – Le Gorille! (album N°1-Georges Brassens chante les chansons poétiques (…et souvent gaillardes) de… Georges Brassens, 1952)
- Taxi Girl – Cherchez le garçon (sorti en 1980 sur le 45 tours éponyme)
Delphine
Créatrice du site // Rédactrice
Créatrice, rédactrice et CM du site. Passionnée de musique, fan de LCD Soundsystem (mais pas que). J'aime la lecture, le ciné, les expo, le street art et les voyages !
merci pour ce billet. j’ai lu et adoré ce roman et ai noté mentalement toutes des références musicales qu’il est bon de voir ainsi listées.