L’orange mécanique – Anthony Burgess

Le livre :

L’orange mécanique d’Anthony Burgess est une inquiétante fable anti-utopiste parue en 1962 se déroulant à Londres dans un futur proche. Les habitants, asservis par le pouvoir, y vivent dans des zones urbaines où règnent ennui, peur et désolation. Dans ce monde déshumanisé, Alex, jeune voyou de 16 ans, adepte de musique classique et de langues anciennes, impose sa loi par la violence et la terreur. À la tête de ses drougies – un gang adolescent ultra violent, il matraque, viole, torture et s’applique à détruire méthodiquement une société qu’il abhorre.

Alors qu’il se retrouve en prison, Alex se porte volontaire pour tester une thérapie révolutionnaire financée par le gouvernement afin d’écourter sa peine. Ludovico, le programme expérimental pour lequel il devient cobaye, a pour but d’éradiquer la délinquance en agissant physiquement sur le criminel. L’adolescent est ainsi forcé à visionner des scènes de violence et de sexe projetées sur un écran tout en étant soumis à des douleurs insupportables provoquées par les drogues qui lui sont administrées pendant le traitement. Comble de l’horreur, ces images choquantes sont associées à la musique classique qu’il vénère, rendant le spectacle d’autant plus insupportable.

Considéré comme guéri et remis en liberté, Alex découvre qu’il est désormais totalement inadapté et sans défense face à la société. Agressé par tous, il est physiquement incapable de se défendre, pris de malaise à la simple idée d’avoir à se battre pour se protéger. Rejeté par son ancien entourage, il se retrouve chez un homme qui se révèle être l’une de ses anciennes victimes. Celui-ci, motivé par l’envie d’affaiblir le gouvernement en place et de se venger décide de pousser son ancien agresseur au suicide. La tentative échoue et le jeune homme se retrouve alors ironiquement à nouveau pris en charge par le ministère de l’Intérieur, mais cette fois-ci comme victime.

Avis :

Plus de 50 ans après sa parution, cette œuvre dystopique – petite sœur du roman 1984 de George Orwell – continue de fasciner par l’actualité des thèmes qu’elle explore. Inspiré d’un évènement qui a marqué Anthony Burgess – l’agression de sa première femme par quatre G.I.s déserteurs en 1944 – ce récit de science fiction présente une société prête à tout, jusqu’à torturer, pour tenter d’éradiquer la violence. Une solution radicale pour régler un problème sociétal que Burgess juge aussi dangereuse qu’inefficace, le fait d’ôter tout possibilité de choix chez un homme revenant à nier son humanité. Une réflexion qui peut s’ouvrir de façon plus générale à l’utilisation de traitements chimiques pour « contrôler » une personne et, poussée à l’extrême, au recours à la peine de mort pour mettre un terme à la criminalité.

La question est de savoir si ce type de méthode peut vraiment faire d’un homme quelqu’un de bien. Le bien vient de l’intérieur, 6655321. Le bien est un choix. Tout homme incapable de choisir cesse d’être un homme.

Sujet intemporel, la lutte contre la violence évoquée dans L’orange mécanique continue à faire débat comme le prouve cette idée, soutenue par certains politiques en France, qui a refait surface à plusieurs occasions : détecter dès le plus jeune âge – 3 ans – des comportements violents. Une proposition qui n’est pas sans rappeler le film Minority Report (2002), une autre vision de la société plutôt effrayante.
Un autre élément de ce récit de science-fiction reste de façon troublante d’actualité, l’utilisation de la musique – et notamment Beethoven, Ludwig van comme l’appelle affectueusement Alex dans le livre – pour dégoûter le jeune délinquant de la violence et du sexe en l’associant aux pires images. La musique comme instrument de torture psychologique, un détournement pervers qui fait évidemment penser au supplice infligé aux prisonniers de Guantanamo obligés d’écouter en boucle des chansons de la série télé pour enfants Sesame Street et des titres de heavy metal.

L’orange mécanique reste malgré les années qui passent un livre de science-fiction incontournable nous mettant en garde contre toute solution trop simple et autoritaire pour régler les maux complexes d’une société. Son univers si particulier a influencé de nombreux artistes au fil des années : David Bowie, Ian Curtis de Joy Division ou encore, bien évidemment, Stanley Kubrick qui a réalisé l’adaptation du livre au cinéma.
Le Nadsat – le méta-argot composé de russe, de manouche et d’anglais – inventé par Burgess et utilisé par Alex pour s’exprimer dans le livre ne doit pas effrayer le lecteur potentiel. On se fait vite à cette langue étrange où l’on slouche un morceau de Beethoven tout en drinkant un dobby verre de moloko. Et si vous perdez le fil, un glossaire est présent à la fin du roman pour vous aider à vous y retrouver.

Musique :

La playlist de L’orange mécanique se compose d’une dizaines de « morceaux », tous des œuvres classiques. De nombreux autres artistes sont cités mais ils sont tous le fruit de l’imagination de l’auteur. Ludwig van Beethoven, compositeur préféré d’Alex, est évidemment très présent dans la playlist comme il l’est dans la bande originale du film Orange mécanique de Stanley Kubrick sorti au cinéma neuf ans après le livre.

En dehors de ce lien, la bande son du film s’éloigne de la musique du roman. Kubrick souhaitait au départ utiliser l’album Atom Heart Mother des Pink Floyd comme accompagnement musical mais Roger Waters refusa. Le cinéaste inclut Beethoven – dans une instrumentalisation modernisée utilisant notamment les premiers vocoders – et d’autres compositeurs de musique classique absents du livre : Rossini, Edward Elgar ou encore Henry Purcell. Ne cherchez pas dans la playlist le morceau Singin’ in the Rain, ce titre mythique – issu de la comédie musicale éponyme sortie en 1952 – est une improvisation de l’acteur Malcolm MacDowell qui joue Alex dans le film.

Se servir comme ça de Ludwig van. Il n’a fait de mal à personne. Il n’a rien fait que d’écrire de la musique, Beethoven.

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Playlist :
Les références musicales sont classées selon l’ordre d’apparition dans le livre.
Seules les œuvres présentées en noir ci-dessous sont présentes dans la playlist, tous les autres artistes mentionnés sont des personnages fictifs imaginés par Anthony Burgess. Quand une symphonie est citée, si aucun mouvement n’est précisé seul le premier mouvement est intégré à la playlist.

  • Le chanteur fictif Berti Laski ouvre le bal des nombreux artistes imaginaires cités par Alex : « C’était Berti Laski qui se râpait la voix sur une très vieille rengaine des familles titre : « Tu me cloques ma peinture » ».
  • Alex et ses drougies portent des masques, Pierrot a celui d’Elvis Presley.
  • Un vieillard chante dans la rue « Et J’te reviendrai mon amour, mon amour, Le Jour où tu m’auras quitté pour toujours » puis un peu plus tard « Moi, ton enfant, j’ai combattu, chère Patrie, Pour toi j’ai moissonnée la victoire et la paix ».
  • Jonny Jivago, un nouveau chanteur imaginaire interprète Jamais plus d’un Jour sur Deux (dans la version originale Johnny Zhivago – Only Every Other Day).
  • L’opera Das Bettzeug de Friedrich Gitterfenster est aussi fictif que son auteur.
  • Le nouveau concerto pour violon de Geoffrey Plautus est joué par Odysseus Choerilos avec le Philarmonic de Macon (Georgie). Ici l’œuvre, son auteur et les interprètes sont également tous fictifs.
  • Wolfgang Amadeus Mozart – Symphonie N° 41 en ut majeur, KV. 551 dite Jupiter (1788). Alex l’évoque avec la formule « la Jupiter de Mozart », ce surnom de Jupiter n’est pas de Mozart mais de l’organisateur de concerts contemporain Johann Peter Salomon et apparaît pour la première fois lors d’un concert en Écosse en 1819.
  • Johann Sebastian Bach – Concerto brandebourgeois N°1 en fa majeur, BWV 1046 (1721). Après Mozart, Alex souhaite écouter « quelque chose de viokcho et de costaud, du très solide quoi, alors ça a été du J.S. Bach, Concerto brandebourgeois, rapport aux cordes uniquement, les moyennes et les grosses. » Les concertos brandebourgeois, Six Concerts à plusieurs instruments selon leur titre original, sont un ensemble de six concertos de Bach (BWV 1046 à 1051) qui comptent parmi les plus renommés qu’il ait composés. Alex ne précisant pas lequel il écoute, c’est le premier de ces concertos qui est inclus dans notre playlist.
  • Le quator à cordes de Claudius Birdman est évoqué. Il s’agit d’une invention de l’auteur.
  • Ludwig van Beethoven – Symphonie N°9 en ré mineur « chorale » op. 125 (1822-1824).  Alex va à la « discotic […] pour voir où en était cette fameuse Neuvième en stéréo de Beethoven (le Symphonie avec Chœurs, autrement dit) commandée et promise depuis longtemps, dans l’enregistrement de l’Ex-Schoum Symphonia dirigé par L. Muhaiwir chez Coup de maître. » L’orchestre, le chef d’orchestre ainsi sur le label évoqués par Alex sont tous fictifs.
  • Alex cite des disques pop d’artistes fictifs : Johnny Burnaway, Stash Kroh, The Mixers, Lay Quiet Awhile With Ed and Id Molotov, Heaven Seventeen, Luke Sterne et Goggly Gogol.
  • Les titres « Honey Nose chanté par Ike Yard et, Night After Day After Night, gémi par deux affreux, genre eunuques désyarbillés, dont j’ai oublié le nom » sont cités. Une nouvelle fois les artistes et morceaux sont fictifs.
  • Beethoven – Symphonie N°9 en ré mineur « chorale » op. 125, dernier mouvement. Alex écoute le quatrième mouvement de cette Symphonie préalablement citée.
  • Quand Alex se réveille sa « stéréo n’était plus branchée sur la Joie et sur Tous Les Hommes Deviennent Frères ». Alex fait ici référence à l’Ode à la joie, appelée également Hymne à la joie, finale du quatrième et dernier mouvement de la 9e Symphonie de Beethoven écouté juste avant. « Tous les Hommes Deviennent Frères » est extrait du texte de cet hymne qui est l’hymne européen officiel depuis le 19 janvier 1972.
  • Beethoven – Concerto pour violon en ré majeur op. 61, dernier mouvement (1806). Alex a « à peine le temps de sloucher une ou deux mesures » de ce concerto.
  • « Et J’te reviendrai mon amour, mon amour, Le Jour où tu m’auras quitté pour toujours » : les paroles de ce morceau fictif sont de nouveau entendues par Alex.
  • Alex entend de nouveau le dernier mouvement de la 9ème symphonie de Beethoven mais « avec les slovs tous un peu mélangés comme s’ils avaient su d’eux-mêmes que c’était forcé qu’ils se mélangent, vu que c’était un rêve ». Inclus dans ce dernier mouvement, l’air de l’Ode à la Joie est de nouveau évoqué.
  • « Faibl’ comm’ du thé pas fait, voilà c’que nous sommes, Mais à forc’d’nous touiller on f’ra d’nous des hommes. Les anges mangent d’la brioche, mais sûrement pas nous. Le temps d’nos épreuv’ on n’en voit pas l’bout. » Il s’agit des paroles du Cantique Numéro 435 dans le Livre des Cantiques des Prisonniers, évidemment fictif.
  • La Symphonie N°2 d’Adrian Schweigselber est également inventée.
  • Bach – Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 140, connue aussi sous le nom de Cantate du Veilleur (1731). Cette cantate est écoutée par Alex.
  • Alex rêve qu’il est dans un grand orchestre où « le chef d’orchestre était un genre mélange de Ludwig van et G.F. Haendel, l’air très sourd et très aveugle et très las de ce monde ». Alex fait ici référence à Ludwig van Beethoven (1770 – 1827), devenu sourd, et Georg Friedrich Haendel (1685-1759), aveugle à la fin de sa vie.
  • Beethoven – Symphonie N°5 en ut mineur, op. 67 dite Symphonie du Destin, dernier mouvement (1805-1807).
  • Mozart – Symphonie N°40 en sol mineur, KV 550 (1788) et Symphonie N°38 en ré majeur dite « Prague », KV 504 (1786). Alex demande à écouter la Quarantième de Mozart « mais c’était la Prague du même – apparemment il avait pris le premier Mozart venu sur le rayon. »
  • Le dernier mouvement de la 5ème Symphonie de Beethoven est à nouveau cité.
  • Alex se demande s’il sera encore « capable de sloucher la vieille Symphonie avec Chœurs des familles sans que ça me lève le cœur ? » Il fait ici référence à Symphonie N°9 dite « chorale » de Beethoven très présente dans le livre.
  • La Symphonie N°3 de Otto Skadelig, « un morceau très gromky et violent, surtout dans le premier mouvement qui était ce que ça jouait pour l’heure » est évoquée. Cette œuvre qui donne des envies de suicide à Alex, tout comme son compositeur supposément danois, sont fictifs.
  • Les compositeurs Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791), Beethoven, Arnold Schönberg (1874 – 1951) et Carl Off (1892 – 1982) sont cités alors qu’on demande à Alex ce qu’il souhaite écouter.
  • Ludwig van Beethoven – Symphonie N°9 en ré mineur « chorale » op. 125, second et troisième mouvement. Sans surprise Alex demande à écouter la 9ème Symphonie de Beethoven, il évoque notamment le Scherzo que l’on retrouve dans le second mouvement, puis « le mouvement lent et le ravissant dernier mouvement avec les voix qui chantent. » Les premier et dernier mouvement étant déjà présents dans la playlist, sont inclus les second et troisième mouvements auxquels Alex fait ici référence.

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L’orange mécanique est paru en 1962 aux éditions Heinemann sous son titre original A Clockwork Orange. Il a été édité en France en mai 1972 chez Robert Laffont dans la collection Pavillons, il est ensuite sorti aux éditions Livre de poche en 1979 (nouveaux tirages jusqu’en 1989) puis en juin 1994 chez Pocket dans la collection BEST (nouveau tirage en 2006). Il est désormais disponible aux éditions Robert Laffont dans la collection Pavillons Poche depuis mai 2010 (et en numérique depuis juin 2012).

Marco

Rédacteur

Chroniqueur pour Shut Up and Play The Books ! et Citazine (cinéma), je peux également faire des sites Internet sur Wordpress et du community management. Intérêts : Orson Welles, médias, cinéma, #moviequotes, loutres et plus si affinités.
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