Le livre:
Sur la route est le roman le plus connu de l’auteur américain Jack Kerouac. Publié en 1957, le livre raconte de manière quasi autobiographique les aventures de l’auteur et de son compagnon de route à travers l’Amérique. L’œuvre est considérée comme l’un des romans fondateurs de ce que Kerouac nommera la Beat Generation.
Cette chronique est basée non sur le livre tel qui a été publié en 1957 mais sur la version dite du « rouleau original ». Selon la légende le livre a été écrit d’un seul jet, en trois semaines (du 2 au 22 avril 1951), sur un rouleau de papier de 36,50 mètres de long. En réalité, dès 1948, Jack Kerouac tenait des carnets de voyages qui ont servi à l’écriture de son roman.
Le tapuscrit original (Kerouac a directement tapé ce livre à la machine), vendu aux enchères 2,2 millions de dollars en 2001, a été publié en 2007 pour fêter les 50 ans de l’œuvre (Gallimard a publié la version en français en 2010).
La première version du livre proposée aux éditeurs par Kerouac en 1951 a été massivement rejetée. Personne ne savait que faire d’un texte considéré difficile à suivre (présenté sur un rouleau, écrit sans paragraphe, sans retour à la ligne et sans chapitre). L’auteur dut faire de nombreuses concessions et retravailler son roman pendant 6 ans pour qu’il soit enfin publié.
Dans le rouleau original le narrateur est Jack Kerouac lui même, dans la version publiée en 1957 il devient Sal Paradise. Les éditeurs, craignant les poursuites de personnes qui n’auraient pas apprécié de voir leurs noms figurer dans le livre, demandèrent à Kerouac de modifier les noms et parfois des détails pour être sûr qu’on ne puisse pas reconnaître l’entourage proche de l’auteur. Ainsi le compagnon de route de Kerouac, Neal Cassady dans la vie, est Dean Moriarty dans le roman. Les noms cités par la suite dans cet article sont ceux du rouleau original.
Dans la version « rouleau original » le texte est tel qu’il a été tapé à la machine par l’auteur, sans la mise en forme imposée par les éditeurs de l’époque, et sans la censure qui a retiré des références au sexe, à l’alcool ou à la mort.
L’édition de Gallimard propose trois préfaces qui permettent notamment de remettre ce texte brut en perspective et de situer ce roman dans le mouvement de la Beat Generation et dans l’histoire de la littérature américaine.
Cet article de Slate.fr revient également sur la genèse de Sur la route, du rouleau original à la version publiée en 57, avec également une interview filmée de Jack Kerouac dans laquelle il s’exprime dans sa langue d’enfance, le français québecois, sur sa vision de la Beat Generation.
Avis :
J’ai du quelques fois relire un passage pour bien comprendre ce qui venait de se passer, mais dans l’ensemble je n’ai pas trouvé la version du rouleau original si difficile à suivre. J’ai au contraire été porté par le rythme de la prose spontanée de l’auteur, il ne faut donc pas s’effrayer devant l’aspect intimidant de ce texte sans mise en forme qui peut donner de prime abord l’impression de ne jamais finir.
Le style de Jack Kerouac a été très critiqué, Truman Capote a notamment déclaré « Cela n’est pas écrire, c’est dactylographier. » Si on peut comprendre le rejet de ce style par Truman Capote, écrivain orfèvre prenant soin de chaque tournure de phrase, il serait dommage de ne pas l’expérimenter, ne serait-ce pour vérifier si on est allergique au style (certains diront l’absence de style) de Kerouac.
Sur le fond, la question du sens peut se poser. Quel intérêt porter à ce récit de voyages de deux jeunes qui explorent l’Amérique puis le Mexique sans but apparent ? S’agit-il d’une soif de découverte, d’une fuite en avant ? Certainement un peu des deux même si l’essentiel réside certainement dans le rapport au père des deux protagonistes. Deux pères absents, celui de Jack/Sal dont la mort est évoquée dès les premières lignes et le père de Neal/Dean qui reste introuvable malgré les kilomètres parcourus.
Musique:
La musique dans Sur la route est largement dominée par le jazz, et notamment le courant musical bebop. Jack et Neal en écoutent énormément pendant leurs voyages (disques, juke-box, concert dans des bars, radio…).
La playlist intégrée dans cet article reprend tous les titres présents dans le rouleau original dont l’interprète est clairement identifié. J’ai également intégré dans cette playlist des morceaux qui ont été ajoutés par Kerouac dans la version publiée en 1957.
Les playlists Deezer et Spotify reprennent l’intégralité de la compilation The music from Kerouac’s classic beat novel On the Road (Ideal Music – 2002). Certains morceaux sur cette compilation ne sont pas repris dans la liste ci-dessous car si les artistes sont bien cités dans le livre je n’ai pas trouvé de référence précise aux titres que ça soit dans le rouleau original ou la version publiée de 1957. Cette compilation est donc plus complète mais effectue un mélange entre morceaux effectivement cités dans le livre et morceaux servant à illustrer la référence à un artiste.
Sur la route a été porté à l’écran en 2012 par Walter Salles. Le film a reçu un accueil mitigé, il faut dire que le défi de l’adaptation était risqué. Dans la bande son du film on retrouve en partie les artistes cités dans le roman mais aucun des morceaux y figurant.
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Playlist :
(par ordre d’apparition dans le livre)
- Jack parle du courant musical bebop qui « à cette époque, en 1947, […] faisait fureur dans toute l’Amérique. »
- L’auteur parle de « la période ornithologique » du saxophoniste Charlie Parker (1920 – 1955) en référence à son titre Ornithology sur l’album Dial sorti en 1946.
- Le compositeur et trompettiste Miles Davis (1926 – 1991) est évoqué.
- Jack va à l’opéra de Central City et cite le nom de Lillian Russell (1860-1922), une actrice et chanteuse américaine. L’œuvre jouée est Fidelio, l’unique opéra de Ludwig van Beethoven, composé en 1804 et 1805.
- Lors d’une soirée des choristes de l’opéra chantent Sweet Adeline, ce morceau publié en 1903 connut le succès en 1904 grâce à l’interprétation du groupe The Quaker City Four.
- Je n’ai pas trouvé la référence du morceau dont les paroles « Le boogie, si tu sais pas le danser, moi je vais te montrer » sont censées provenir.
- Le morceau Central Avenue Breakdown de Lionel Hampton (1908 – 2002) vibraphoniste, pianiste et batteur de jazz américain est évoqué.
- La « chanson grandiose » Lover Man, parue en single en 1945,de la chanteuse Billie Holiday (1915 – 1959) est évoquée.
- La chanson dont les paroles sont « La fenêtre elle est cassée, et la pluie, elle rentre dans la maison » est citée. Les paroles originales de ce morceau intitulé Mañana (Is Soon Enough for Me) sont « The window she is broken and the rain is comin’ in. » Ce titre a été interprété par Peggy Lee en 1947.
- Jack s’isole dans un cimetière et y chante Blue Skies. Ce morceau composé en 1926 a été interprété en 1927 par Ben Selvin. On le retrouve la même année dans le film The Jazz singer, considéré comme le premier film parlant de l’histoire du cinéma.
- Billie Holiday est de nouveau citée.
- Dizzy Gillepsie (1917 – 1993) est évoqué. Ce compositeur, chef d’orchestre et trompettiste de jazz américain est considéré comme l’un des trois plus importants trompettistes de l’histoire du jazz avec Miles Davis et Louis Armstrong (1901 – 1971). Il a participé à la création du style Bebop et contribué à introduire les rythmes latino-américains dans le jazz.
- Jack parle d’un « disque de bop endiablé » qu’il vient d’acheter, son titre : The Hunt. « Dexter Gordon et Wardell Gray y soufflent comme des malades, devant un public qui hurle ; ça donne un volume et une frénésies pas croyables. » Cet album est sorti en 1947.
- Neal écoute le morceau A fine romance joué par une boite à musique. Ce titre a été écrit en 1936 pour le film musical Swing Time avec Fred Astaire et Ginger Rogers. Ce morceau été également interprété par Bille Holiday, Louis Armstrong et Ella Fitzgerald.
- Les opéras de Verdi sont évoqués.
- Le « grand pianiste de jazz » anglo-américain George Shearing (1919 – 2011) est cité, puis le batteur Denzel Best (1917 – 1965) « immobile à sa batterie ».
- L’émission de radio Chicken Jazz’n Gumbo Disc-jockey Show, diffusée depuis La Nouvelle Orléans est citée.
- Jack et Neal vont voir Slim Gaillard (1916 – 1991) dans un « petit night-club de Frisco ». Ce chanteur de jazz y interprète les morceaux Cement Mixer et C-Jam Blues.
- Toujours dans un bar le morceau Close your eyes est chanté. Ce titre écrit en 1933 a été interprété par de nombreux artistes dont Harry Belafonte (1949), Ella Fitzgerald (1957), Peggy Lee (1963), Queen Latifah (2004)…
- Évocation de Ed Saucier, un altiste (joueur de alto, instrument proche du violon) de San Francisco.
- Le morceau suivant n’est pas cité explicitement dans le rouleau original mais il l’est dans la version de Sur la route publiée en 1957. Il s’agit du titre Congo Blues du Red Norvo Sextet enregistré en 1945. Red Norvo (1908 – 1999) était un vibraphoniste, xylophoniste et joueur de marimba américain. Jack Kerouac fait d’ailleurs une erreur en citant ce morceau, il l’annonce comme étant un des premiers morceaux de Dizzy Gillespie alors que si celui-ci joue bien sur ce titre il s’agit d’une œuvre collective du Red Norvo Sextet. De plus Max West qui est censé jouer de la batterie sur ce titre était en réalité un… joueur de baseball. Plus d’infos sur cet erreur dans cet article (en anglais) qui remet en doute l’étendue des connaissances en jazz de Jack Kerouac.
- L’accident de voiture de Stan Hasselgård (1922 – 1948), « célèbre clarinettiste de bop » suédois, est évoqué.
- Le timbre de voix de « Prez Lester » est évoqué. Prez (le prédisent) est le surnom de Lester Young (1909 – 1959) un saxophoniste, clarinettiste et compositeur de jazz américain.
- Les noms de Charlie Parker, Miles Davis, Louis Armstrong et Roy Eldrige (1911 – 1989) avec « son style vigoureux et viril » sont cités. Puis viennent d’autres noms dans l’histoire du jazz racontée par Kerouac : Count Basie (1904 – 1984), Benny Moten (1894 – 1935), Hot Lips Page (1908 – 1954), Thelonious Monk (1917 – 1982) et de nouveau Gillespie et Lester Young.
- Kerouac assiste à une prestation de George Shearing qui est accompagné des musiciens Denzel Best, John Levy (1912 – 2012) et Chuck Wayne (1923 -1997).
- L’émission radiophonique de Symphony Sid alias Sid Torin (1909 – 1984) qui passe « les derniers morceaux de bop » est évoquée.
- Un disque de Willis Jackson (1932 – 1987) est joué, autographié Willie dans le livre. Une nouvelle fois le morceau n’est pas cité dans le rouleau original alors qu’il l’est dans le livre publié, il s’agit de titre Gator tail sur lequel Willis Jackson est accompagné du Cootie Williams Orchestra.
- Nouvelle évocation de Gillepsie « on mettra un disque de Gillespie vite fait, et d’autres de bop ».
- Des titres de Lionel Hampton, ainsi que de Wynonie Blues Harris (1915 – 1969) et Lucky Millinder (1900 – 1966), tous deux musiciens de rhythm and blues, sont joués dans un juke-box « histoire que ça balance ». Un nouveau morceau non référencé dans le rouleau original est évoqué dans la version publié du livre, il s’agit du titre I like my baby’s pudding de Wynonie Blues Harris. Ce titre aux paroles à double sens parlant de femmes et d’alcool est sorti en 1950.
- Au Mexique un « juke-box des années trente jouait de la musique de campesinos (paysans) ».
- Des titres de Perez Prado sont joués. Jack et Neal dansent avec des filles sur More mambo jambo, Chattanooga de mambo, Mambo numero ocho et Mambo jambo.
- La dernière référence musicale du livre concerne Jack qui se rend à un concert de Duke Elligton.
Marco
Rédacteur
Chroniqueur pour Shut Up and Play The Books ! et Citazine (cinéma), je peux également faire des sites Internet sur Wordpress et du community management. Intérêts : Orson Welles, médias, cinéma, #moviequotes, loutres et plus si affinités.
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