Tubes la philosophie dans le juke-box - Peter SzendyLe livre :

Tubes, la philosophie dans le juke-box est un court texte philosophique de Peter Szendy qui s’intéresse aux « tubes ». C’est sur la version argotique du mot « tube », inventée par Boris Vian pour désigner un succès dans l’industrie musicale, que l’auteur a décidé de se pencher. Ces airs banals, qui une fois en tête vous hantent, vous poursuivent sans que vous puissiez vous en débarrasser, et ce, que vous les aimiez ou non. Ces « vers d’oreille« , comme les nomment les anglais et les allemands, que l’on associe à des moments de nos vies et qui continuent à nous marquer même plusieurs années après. Ces morceaux qui nous parlent intimement, qui constituent la bande son de notre vie, sont pourtant communs à toutes les sociétés et s’inscrivent « dans la circulation d’un échange général des clichés ».

Dans cet essai en trois parties l’auteur repense le terme de « tube » et explique comment ils « parlent d’eux-mêmes, de leur économie, de leur banalité, voire des fantasmes ou fantasmagories identificatoires qu’ils suscitent en tant que marchandises ». Peter Szendy élève les tubes au niveau d’objets philosophiques en mettant en regard des textes de Walter Benjamin, Karl Marx, Emmanuel Kant, Soren Kierkegaard ou Sigmund Freud pour tenter d’interpréter leurs rapports avec l’argent ou encore l’épreuve de la reprise. L’auteur s’appuie aussi sur le cinéma, de Fritz Lang à Alain Resnais en passant par Hitchcock, pour montrer comment le cinéma « pense les tubes » et comment ceux-ci articulent le banal et le singulier, le marché et la psyché. Les tubes apparaissent ainsi comme une production du capitalisme avancé : un hymne intime à l’échange.

Avis :

Si l’association des mots « tubes » et « juke-box » dans un même titre vous évoque de longues playlists pour faire bouger votre popotin en soirée, vous l’aurez désormais compris, vous avez tout faux. Le mot à ne surtout pas oublier ici est « philosophie ». Mais rassurez-vous, aucune raison d’être déçu ou d’avoir peur si vous n’êtes pas un adepte de cette discipline. Bien au contraire ! Tubes, la philosophie dans le juke-box est un essai passionnant et plutôt facile d’accès.

Ainsi, en un peu moins de 100 pages, Peter Szendy « à l’écoute des tubes eux-mêmes [a été ici conduit] à interroger leurs fantasmagories fétichistes, leurs scènes autodésirantes, leur quête de l’unique à travers la reprise, leurs va-et-vient et leur singulière manière d’articuler la psyché et le marché » mais aussi leur « compulsion à confesser [liée au fait] que les tubes se nourrissent d’une étroite connivence entre l’obsession et l’interdiction ». Si ce résumé vous semble obscur pour le moment, après lecture, à défaut de savoir comment y échapper, vous écouterez vos « vers d’oreille » autrement.

Musique :

La réflexion de l’auteur sur ce qu’est un « tube » se découpe en différents chapitres, et ses propos sont illustrés par des chansons intégrées à la playlist ci-dessous. Peu d’explications ont été ajoutées ici, vous les trouverez dans le livre. Afin de garder la trame, les chapitres dans lesquels ces morceaux figurent ont cependant été précisés.

[Les chansons] disent ce qu’elles font : elles chantent qu’elles surgissent et resurgissent, en interrompant le cours de la vie tout en s’y laissant interrompre elles-mêmes. Comme des fantômes, comme des revenants, ces mélodies viennent tourmenter les personnages, elles qui, pour reprendre ce beau mot italien, sont des tormenti : des grands tourments, des rengaines qui habitent, qui hantent la vie de ceux qu’elles assaillent en leur promettant à leur insu un incessant retour.

Retrouvez également cette playlist sur   Logo Deezer  et  Logo Spotify

Playlist :
Les références musicales sont classées selon l’ordre d’apparition dans le livre.

VERS D’OREILLE (LA BANDE SON DE LA VIE) :

L’auteur donne des exemples de ce qu’il appelle des « vers d’oreille » (qu’ils soient bons ou mauvais, selon lui).

  • Kylie Minogue – Can’t Get You Out Of My Head (Fever, 2001)
  • Dalida et Alain Delon – Paroles, paroles (1973)
  • John Lennon – Imagine (Imagine, 1971)
  • Henri Salvador – Un air comme ça (Savador/Boris Vian, 1979). Des paroles du morceau, écrites par Boris Vian, sont citées dans le livre. La chanson est citée plusieurs fois dans le livre. Le morceau n’a pas été intégré aux playlists car il est introuvable en ligne.

LE BANAL ET LE SINGULIER :

Un air comme ça (Le secret de la marchandise) :

  • Henri Salvador – Le Tube (1957). Boris Vian est également l’auteur de cette chanson.
  • Dalida – L’histoire d’un amour (Gondolier, 1958)
  • Eddie Mitchell – Je chante pour ceux qui ont le blues (Frenchy, 2003)
  • BB King – Same Old Story, Same Old Song (Take It Home, 1979)
  • Laurent Voulzy – Désir désir (1984). Cette chanson est interprétée en duo avec Véronique Jannot, les paroles sont d’Alain Souchon.
  • Le compositeur et violoncelliste français Jacques Offenbach (1819 – 1880) est cité.

Parole, parole, parole (Le désir de soi) :

  • Dalida – Paroles, paroles. Chantée dans sa version française par Dalida et Alain Delon, ce titre était à l’origine interprété en italien par Mina et l’acteur Alberto Lupo.
  • Mina & Alberto Lupo – Parole, parole (1972)

La reprise, ou l’épreuve de l’engouement :

  • The Rolling Stones – (I can’t get no) Satisfaction (1965)
  • Stevie Wonder – Isn’t She Lovely (Songs In The Key Of Life, 1976). L’auteur nous précise qu’au-delà de la naissance de sa fille c’est sa chanson elle-même qu’il célèbre.
  • Rodolphe Burger et son groupe Kat Onoma sont cités.

LE CINÉMA DES TUBES :

Je suis venu te dire… (On connait la chanson) :

  • Serge Gainsbourg – Je suis venu te dire que je m’en vais (Vu de l’extérieur, 1973). Ce morceau sert de titre de chapitre et l’auteur se sert de l’utilisation de celui-ci dans le film de Resnais, On connaît la chanson (1997) pour appuyer sa théorie.
  • Mendelssohn – Auf Flügeln des Gesandes / Sur les ailes du chant (1840). La mélodie vient à l’esprit du psychanalyste Reik en réponse au problème d’une de ses patientes.
  • Julien Clerc – Ce n’est rien (Julien Clerc, 1971)
  • Claude François – Chanson Populaire (Chanson Populaire…, 1973)
  • Michel Sardou – Déjà-vu (Selon que vous serez, etc, etc., 1994)
  • Edith Piaf – J’m’en fous pas mal (1946)

Marché et psyché (M le Maudit) :

  • Edvard Grieg – Peer Gynt : dans le hall du roi des montagnes (1874). Dans M le Maudit (1931) de Fritz Lang, le criminel siffle cet air.
  • La comptine Warte, warte nur ein Weilchen apparaît dans le film.

L’ombre d’un doute (Quelques airs de Hitchcock) :

  • Le générique du film Les 39 marches (1935) d’Alfred Hitchcock est cité ainsi que la musique introduisant Mr Memory au Music Hall.
  • La musique est également présente dans Une femme disparaît (1938) d’Hitchcock. Une marche nuptiale est évoquée. Beaucoup de compositeurs ont écrit des marches nuptiales.
  • Le générique du film d’Hitchcock, L’ombre d’un doute (1942), extrait de l’opérette de Franz Léhar, La veuve joyeuse / The merry widow (1905) est cités.
  • Victor Herbert et Johann Strauss sont nommés.

L’HYMNE INTIME DU CAPITAL :

Mélodie interdite :

  • Jane Birkin – Mélodie Interdite (Ex-fan des sixties, 1978).
  • Louis Armstrong – What A Wonderful World (1967) est cité par l’auteur lorsqu’il évoque la censure musicale. Il s’agit d’une des 150 chansons censurées suite aux attentats du 11 septembre aux États-Unis. Celle-ci, tout comme Imagine de John Lennon, véhiculaient un message « indécemment pacifiste ».
  • L’auteur donne aussi des exemples de chansons qui ont subi une autocensure de la part des radios et TV françaises lors de la guerre du Golfe en 1991 :
    Boris Vian – Le déserteur. Poème écrit par Boris Vian en 1954, chanté par Mouloudji la même année, Boris Vian le chante lui-même à partir de 1955.
    Charles Trenet – Boum ! (1938)
    Véronique Sanson – Allah (Moi, le venin, 1988)
  • Toujours dans le contexte post attentats, la chanson d’Elton John – Bennie and the Jets dont les paroles évoquent l’aviation a été censurée.
  • Les opéras de Verdi sont cités. La censure, en Angleterre victorienne, se basait sur les textes dans les livrets et non sur la musique.
  • Aretha Franklin – Don’t play that song (you lied) (Spirit In The Dark, 1970). La note de bas de page nous précise qu’il s’agit d’un reprise, cette chanson ayant déjà connu un certain succès avec Ben E King en 1962.
  • La Marseillaise est évoquée.
  • Peter Szendy donne l’exemple de certains tubes qui deviennent des hymnes :
    Imagine de Lennon fut choisi comme hymne d’Amnesty International en 2003.
    L’ode à la joie (9eme symphonie) de Beethoven est celui du Conseil de l’Europe.
    Georgia on my mind de Ray Charles (1960) est l’hymne de la Georgie (USA), le titre est inscrit dans le code de l’État.
  • Jump Jim Crow. La note de bas de page précise : « chantée en 1828 par le comédien blanc Thomas Dartmouth « Daddy » Rice, elle tourne en dérision les Noirs (en imitant leur accent et en caricaturant leurs mœurs), inaugurant ainsi la tradition du ministrel show, avec des artistes blancs maquillés en Noirs ».

Money (La musique, l’argent et le mot d’esprit) :

  • Michaël Jackson – Money (HIStory, 1995). L’auteur nous le précise « Comme le suggère le titre du disque, les chansons qui y figurent parlent du chanteur lui-même (c’est son histoire, his story, l’histoire de ses succès) ».
  • Pink Floyd – Money (Dark Side of the Moon, 1973)
  • ABBA – Money Money Money (Arrival, 1976)
  • Billy Joel – Easy Money (An Innocent Man, 1983)
  • Drifters – Money Honey (1953)
  • Elvis Presley – Money Honey (Elvis Presley, 1956), il s’agit d’une reprise du morceau des Drifters.

Fame :

  • Georges Brassens – La mauvais réputation (Georges Brassens chante les chansons poétiques (et souvent gaillardes) de… Georges Brassens, 1952). L’album sera rebaptisé par la suite du nom de sa chanson La mauvaise réputation.
  • Irene Cara – Fame. Chanson du film éponyme d’Alan Parker (1980).
  • Claude François – Cette année là (1976)
  • Gloria Gaynor – I Will Survive (Love Tracks, 1978)
  • L’auteur mentionne des notes de Fellini sur un clip pour Paul Mc Cartney jamais réalisé.
  • Lucio Dalla, grand chanteur italien est cité.

AROUND THE WORLD (LE TOUR DE SOI) :

  • Daft Punk – Around the World (Homework, 1997). Selon l’auteur, le titre du morceau est répété 140 fois dans la chanson.
  • Roberta Flack – Killing Me Softly With His Song (Killing Me Softly, 1973)

 

Achetez ce livre en numérique sur Logo Epagine ou Acheter ce livre avec Place des Libraires

Tubes, la philosophie dans le juke-box est paru en 2008 aux Éditions de Minuit.

Delphine

Delphine

Créatrice du site // Rédactrice

Créatrice, rédactrice et CM du site. Passionnée de musique, fan de LCD Soundsystem (mais pas que). J'aime la lecture, le ciné, les expo, le street art et les voyages !

Voir tous les articles de Delphine